Le V2 : entre innovation

et destruction

Le projet d'une bombe volante

 
 

       Des « fuséologues » ambitieux

 

  Bien que le monde entier à la fin des années 1920 soit fasciné par le rêve des voyages spatiaux, c’est en Allemagne que se manifeste le plus grand intérêt. De plus en plus d’amateurs expérimentent leurs fusées, faisant ainsi parler d'eux dans les journaux; à l’image du pilote de course Max Valier testant de nombreux moteurs-fusées à poudre fabriqués par l’industriel Fritz von Opel. Le fonctionnement du moteur-fusée est novateur, il repose sur la projection d’un liquide ou d’un gaz produisant une force utilisée pour les fusées, c’est la poussée. Les courses et les tirs spectaculaires attirent l’attention de la population allemande impressionnée par cette technologie moderne et novatrice pour l’époque. L’astronautique connait effectivement un nouvel essor depuis le début du XXème siècle.

 L’Opel à moteurs fusée à poudre Sander sur la piste de l’Avus à Berlin en 1928. Elle devait atteindre 150 km/h.
  

L’Opel-Sander RAK 2 à moteurs fusée pilotée par Max Valier et Fritz von Opel sur l’Avus en 1929 

 

Ces fusées sont en partie les héritières d'une grande famille de visionnaires qui ont rendu possible le rêve de pouvoir voyager un jour dans l'espace.

Le modèle de la fusée a ainsi fortement évolué, jusqu'à se définir dans les années 1920 comme un engin  à réaction, propulsé par l'éjection de gaz à grande vitesse engendrés dans une chambre à combustion. Grâce à l'action conjuguée de ses ergols, substances chimiques constituant à la fois carburant et comburant (le terme de « propergol » est aussi souvent employé, il désigne un produit constitué de plusieurs ergols), une fusée développe sa poussée quel que soit l'environnement dans lequel elle évolue. Bien entendu, il est nécessaire que la fusée transporte elle-même son oxygène, contrairement à d'autres types d'engins à réaction qui doivent utiliser l'oxygène contenu dans l'atmosphère pour brûler le carburant qu'ils transportent. La poussée qui propulse la fusée obéit à la troisième loi de Newton, c'est à dire le principe de l'action et de la réaction : pour chaque action (force), il existe une réaction d'intensité égale, de sens contraire.

 

 

On distingue deux grandes catégories de fusées : les fusées à propergol solide (utilisées en ce temps là, sous forme de poudre à canon) et les fusées à propergols liquides.  Dans les fusées à propergols liquide, les deux ergols sont stockés dans des réservoirs séparés, et alimentent le moteur-fusée, alors que dans les fusées à propergol solide, le combustible est stocké et brûlé dans le moteur même.

Le développement de fusées à propergols liquides a débuté pendant la période 1920-1930. C'est l'ingénieur et physicien américain Robert Goddard qui lança la première fusée à ergols liquides le 16 mars 1926.

 

Dans les deux cas, on appelle moteur, la chambre à combustion qui est une enceinte capable de résister à des changements de pression et de température brusques et dans laquelle on déclenche volontairement une combustion entre des éléments chimiques déterminés. Cette enceinte est conçue pour obtenir, à partir des gaz issus de la combustion, un travail ou une force, avant qu'ils ne soient évacués.

 

On a défini la fusée comme étant un corps en mouvement dont la masse est en continuelle diminution tant que le moteur fonctionne. Cette diminution s'explique par des relations mathématiques : la formule ci-dessous prend en compte la conservation de la quantité de mouvement lorsqu’un corps est propulsé.

  Lorsque une masse d’ergol m est éjectée à une vitesse Ve (vitesse d’éjection des gaz) de la tuyère, une force est exercée dans la direction de ces gaz (de la tuyère), entraînant, selon le principe d’action-réaction, une force, dans le sens inverse, faisant décoller la fusée de masse M, à une vitesse v. On obtient ainsi l’équation m x Ve = M x v ou masse des gaz utilisés x vitesse d’éjection des gaz = Masse de la fusée x vitesse de la fusée (Kg x m/s = Kg x m/s)

La force de propulsion ou de poussée est définie par la relation : F = dg x Ve   avec dg : la masse de gaz éjecté par seconde (Kg/s) et Ve : la vitesse d’éjection des gaz (m/s).

 

 

  Ainsi en un temps t, x kg de gaz sont éjectés, donc le poids de la fusée diminue (la masse du départ notée M correspond à la somme de la masse des ergols (M2), et de la masse de la fusée à vide (M1), d’où M=M1+M2). Si on prend le cas d’un taux d’éjection de masse de gaz identique tout au long de la combustion, ce qui est le cas pour toutes les fusées de l’époque, on peut donc, si on connaît la durée de combustion, établir la masse en fonction du temps M(t) :

M(t)=M-(t/T)*M2      

avec t le temps de fonctionnement de la fusée, T la durée de combustion complète des ergols

 

  Mais les fusées allemandes sont aussi les héritières lointaines des travaux du russe Konstantin Tsiolkovski. Surnommé « le père de l'astronautique », il a théorisé cette science et à entre autre apporté la relation mathématique permettant de calculer la vitesse des fusées :     

 soit M : la masse de la fusée en Kg

       Dm : la masse de gaz éjectée

 Dt : un intervalle de temps

 Dg : le débit massique des gaz éjectés (kg/s)

 Ve : la vitesse d’éjection des gaz (m/s)

 F : la force de propulsion

On sait que F = dg x Ve

Puisque Ve = (M x v)/m et que dg = dm/dt

Alors F = dm/dt x Mv/dm

   = M x v/dt

par intégration de Dm/M donnant ln M, logarithme népérien de M, on obtient la relation :

V = Ve x Ln(M initiale/M actuelle). (le logarithme népérien est une fonction continue définie par ln’x = 1/x  et ln1 = 0)

 

 

 La popularité pousse un groupe de passionnés à fonder à Berlin la « Verein für Raumschiffahrt » (la société des voyages spatiaux) ou VfR en 1927. Cette organisation ne se contente pas de travaux théoriques, ils expérimentent aussi des prototypes de fusée et publient leurs observations et leurs analyses dans le journal « die Rakete » (les fusées).

 Couverture de la revue allemande Die Rakete – La fusée (1927)

De nombreux ingénieurs qui joueront un rôle dans l’aventure spatiale intègrent la VfR comme Klaus Riedel, Johannes Winkler, Willy Ley, Rodolf Nebel, Max Valier … Tous ces « fuséologues » ambitieux se réunissent autour d’un des quatre pionniers de l’astronautique (après le russe Tsiolkovski, l’américain Goddart et le français Esnault-Pelterie) Herrmann Oberth

  En 1929, il fut conseiller scientifique sur le film « Une femme sur la Lune » de Fritz Lang et devait lancer une fusée pour la première sortie du film, mais davantage théoricien que technicien, il échoua dans cette tentative. Plus tard d’ailleurs, l’armée représentera une femme sur la lune sur les A4 en son hommage…

 

Décors du film de Fritz Lang « Une femme sur la Lune » (1929).

 

  Mais Oberth attire surtout l’attention des astronomes dans son livre « Rakete zu den Planetenräumen » (la fusée de l’espace interplanétaire) dans lequel il est le premier à proposer des solutions à la plupart des questions posées à l’époque : déplacement d’une fusée dans le vide, satellisation d’une charge utile, description de fusées pour explorer la haute atmosphère, discussion des mérites comparés de l’alcool et de l’hydrogène comme combustibles de fusée (démontrant qu’on pouvait plus facilement contrôler la fusée qui possède ces combustibles, qu’une fusée à poudre). La VfR obtient  un site de lancement expérimental prêté par l’Armée en dehors de Berlin, baptisé la « Raketenflugplatz » (terrain d’envol des fusées) en 1930. C’est en cette même année qu’un jeune ingénieur de 18 ans très prometteur, Wernher von Braun, se joint à ce groupe. Ce lieu servira de lieu d’apprentissage pour le jeune Braun que l’on peut voir sur une photographie de 1931, la blouse macul ée de cambouis portant une des fusées de Oberth vers le champ de tir. La fusée de Oberth, la Mirak I, se développe dès lors.

 

 Wernher von Braun (à droite) portant une fusée « Mirak I » au Raketenflugplatz

 

 

Les membres de la VfR progressent rapidement,  ainsi en 1932, ils concentrent leurs efforts sur la Mirak II.

 
Oberth Herrmann, au centre, testant une fusée « Mirak II » devant des  
 



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